Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

Une autre science est possible,

Séance du 23 février 2022


Une autre science est possible !
Manifeste pour un ralentissement des sciences, suivi de Le poulpe du doctorat

Isabelle Stengers, William James

Julien Lefèvre et Daniele Schon ont présenté l’ouvrage d’Isabelle Stengers (Université Libre
de Bruxelles), Une autre science est possible ! Manifeste pour un ralentissement des sciences,
un ensemble de conférences et d’articles précédemment publiés par Isabelle Stengers auquel
elle a ajouté un chapitre inédit.
Isabelle Stengers dénonce le monde de la recherche et ses contradictions, en particulier le
corporatisme. Elle met en cause et en question le rôle de la science dans les sociétés
modernes. La science serait le simple déroulement objectif d’une méthode qui sépare le bon
grain (les faits) de l’ivraie (les valeurs). Ce faisant, le politiquement correct des autorités
publiques ne rend pas raison à la dimension politique intrinsèque des situations auxquelles les
citoyens sont confrontées mais les écrasent sur des situations expérimentales qui seules sont
susceptibles de validation scientifique et peuvent prétendre à la qualification de « faits ».
Stengers propose de résister « aux prétentions des savoirs scientifiques à une autorité
générale » (p. 15) et en vient à regretter le « caractère malsain d’une science incapable de
nourrir ce milieu « amateur » qui, aujourd’hui, fait cruellement défaut ».
Stengers souhaite la constitution d’un milieu amateur alimenté par ce qu’elle appelle une
« intelligence publique de la science », Un amatoriat distribué. Un tel groupe pourrait être un
soutien utile lors de controverses alors qu’internet et les « marchands de doute » font parfois
proliférer les théories du complot ou les contestations de la méthode scientifique au nom de
leurs intérêts remis en cause par ces « vérités qui dérangent » produites par la science.
Finalement, c’est en quelque sorte un « principe de précaution » incarné par le public pour
« hésiter ensemble ».
Cette intelligence publique prônée par Stengers concerne aussi bien les citoyens que les
scientifiques eux mêmes. Ces derniers en général manquent de recul sur leur pratique et leur
savoir même ; ils ne prennent pas vraiment au sérieux les questions épistémologiques et
même politiques. En particulier, ils se méfient de tout mélange entre faits et valeurs. Alors que
la distinction appartient plutôt à la façon de poser et de délimiter les questions et de « mettre
au clair ce qui importe »
Enfin et c’est ce qui donne son sous-titre au livre, l’auteure propose un ralentissement des
sciences, une slow science. Un tel changement devrait permettre de donner quelques éléments
afin de choisir la société dans laquelle nous souhaitons évoluer, d’amener le chercheur à
envisager les conséquences de ses recherches en les « situant » (Donna Haraway) au sein
d’autres sciences que la sienne. A cette occasion, Stengers questionne le modèle d’évaluation
des referees. Toutes les sciences ne sont pas égales face à ce modèle qui a été créé pour les
sciences rapides, cumulatives, et en particulier pour les sciences expérimentales. A cela elle
oppose un modèle de science comme un travail collectif au sein duquel la dynamique est
celles des questions partagées, reprises, partiellement répondues, modifiées et citées comme
telles. Ce changement (vers le ralentissement) doit passer par le réveil du chercheur
« somnambule », prisonnier en quelque sorte de son quotidien.
Plus largement, c’est aussi un appel à la mise à distance des intérêts économiques et étatiques
que lance l’auteur : « Avec l’économie de la connaissance, c’est l’économie spéculative, avec
ses bulles et ses crashs, qui s’empare de ce que fut la recherche scientifique » (p. 104). La
logique capitaliste, tout comme dans le contexte environnemental, n’est pas adaptée au monde
de la recherche qui doit avoir le temps de poser des questions. Par exemple, les évaluations
uniformes des chercheurs ne prennent pas en compte le pluralisme des sciences. Il faut donc
revenir sur le lien contemporain entre science et rapidité, « réapproprier » l’université et ses
savoirs pour en faire des instruments de résistances.
Stengers souligne la nécessité de s’engager, en tant que « situés » : se réapproprier, apprendre
à se situer, retisser des liens. C’est bien par ces liens que nous pourrons civiliser les savoirs
modernes et pratiquer une science responsable. C’est la situation qui demande de situer la
pertinence d’un savoir, de comprendre son caractère sélectif, ce qu’il fait importer, ce qu’il
ignore. Les scientifiques doivent apprendre à situer ce qu’ils savent : expliciter la manière
dont ce qu’ils savent peut contribuer aux la compréhension et l’éventuelle résolution des
questions et problèmes (exemple des scientifiques travaillant sur les OGM et prétendent
résoudre ainsi la faim dans le monde).
Le dernier chapitre ouvre des horizons que Stengers nomme « Cosmopolitiques » sur ce que
l’écologie politique peut, au moment où l’urgence environnementale, incarnée par la figure de
Gaïa, est sur le devant de la scène. En quelques sortes, on retrouve en condensé un
programme déjà exposé : la mise en politique des sciences, la non compatibilité avec
l’économie de la connaissance et la mise en question de la formation scientifique. La
proposition finale de Stengers vise à civiliser les rapports politiques, via une mise à égalité et
une transparence totale des intérêts des différents acteurs de Gaïa et l’intervention de ce
qu’elle appelle des diplomates et des experts. On pense bien sur à des acteurs humains mais le
titre d’un ouvrage postérieur de Baptiste Morizot peut nous laisser penser à un réseau plus
large.
A la fin du livre apparaît un texte de William James, un des pères fondateurs de la
psychologie.
William James (1842-1910), « Le poulpe du doctorat » traduit et présenté par Thierry Drumm.
Dans cet article de 1903, William James s’élevait contre la sacralisation des diplômes et
contre le doctorat en premier lieu. Pour James, ce titre alimente le snobisme universitaire
puisque « le diplôme du doctorat est de fait déjà considéré comme un pur instrument
publicitaire, un moyen de jeter de la poudre aux yeux du public ». Sa promotion conduit à
l’adoption de logique quantitativiste et encore pis au conformisme. L’université se devrait de
former des gens instruits et ne pas porter autant d’importance au grade de docteur, qu’il
propose d’accorder automatiquement à tout individu ayant passé un certain temps sur un sujet
donné !
Une partie de ce texte reprend le texte de Benjamin Caraco
https://journals.openedition.org/lectures/10354


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Atecopol Aix-Marseille (27 février 2022). Une autre science est possible, Atecopol Aix-Marseille. Consulté le 18 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/d1y9


Vous aimerez aussi...