Fascisme Fossile
séance du 23 septembre 2021
Fascisme fossile
L’extrême droite, l’énergie, le climat.
Zetkin Collective, Coordonné par Andreas Malm
Ce livre paru en 2020 est écrit par le collectif Zetkin, du nom de « Clara Zetkin », enseignante, journaliste et femme politique, socialiste, et qui a écrit pour l’internationale socialiste, au début des années 1920, une résolution pour le combat contre le fascisme.
Les auteurs partent du constat que, en même temps,
– la crise écologique est de plus en plus patente,
– l’extrême droite monte dans de nombreux pays, voire gagne le pouvoir.
Le collectif Zetkin s’interroge sur les liens éventuels entre ces deux phénomènes. Plus largement, il démarre une recherche sur l’écologie politique de l’extrême droite(ED).
Le collectif s’intéresse aux partis d’extrême droite européens, mais également aux phénomènes Trump et Bolsonaro (qui alimentent leur analyse).
Les questions qui sont envisagées sont :
– comment est ce que les partis d’extrême droite intègrent la crise écologique (et climatique) dans leurs analyses, dans leurs discours ? Comment est-ce u’il agissent lorsqu’ils sont au pouvoir ?
– comment est ce que ces positions sur l’écologie s’articulent à leur posture politique, en particulier celle sur l’immigration ?
– comment ces positions de l’extrême droite s’articulent à la politique des états et des entreprises ? En quoi ces positions sont-elles liées à l’histoire économique et politique moderne ? (et pas seulement comme héritage de la colonisation)
– en quoi la réponse à ces questions peut aider à imaginer l’évolution de la situation politique ?
La thèse du collectif est que « la politique de destruction de la nature assumée par Trump et Bolsonaro n’est pas un épiphénomène mais est une tendance systémique qui émerge à un moment particulier de l’évolution du mode de production capitaliste ».
Ce livre est composé de deux parties.
La première retrace l’évolution des positions des partis s’extrême droite sur l’écologie (en gros les trois premières questions).
La deuxième partie spécule sur des scénarios possibles et interroge les termes de fascisme, de racisme dans leur historicité et leurs liens avec les énergies fossiles (les troisième et quatrième questions et au delà).
Myriam va faire une présentation de la première partie et Gaétan de la deuxième.
Première partie
1. La première partie démarre par un chapitre sur le négationnisme climatique.
Ce négationnisme naît à la fin des années 80, au moment où l’hypothèse commence à être diffusée la responsabilité du système économique basé sur les énergies fossiles sur le dérèglement climatique. Au moment où le GIEC est créé.
Les entreprises du capital fossile s’affolent (ces entreprises sont celles des domaines : pétrole charbon, automobile, –sont précisément citées Exxon, BP, Texaco, Ford, Chrisler, etc …) ;
elles développent très vite une science précise, ont vite conscience de la réalité de cette responsabilité et elles produisent et diffusent une propagande efficace pour nier cette réalité d’un dérèglement climatique causé par l’économie carbonée.
Lorsque cette propagande des entreprises du capital fossile a commencé à devenir trop visible, dans les années 2000, la plupart l’abandonne au profit du greenwashing.
Ce négationnisme va continué à être porté par l’extrême droite.
Les partis d’extrême droite ont d’abord tous été négationnistes. La plupart le sont encore ; ils nient la gravité et même l’existence d’un problème climatique.
Pour illustrer ce constat sont cités dans le livre des discours actuels des partis européens qui ont fait des percées fulgurantes ces dernières années et ont pour certains envoyé des députés au parlement européen, Vox en espagne, l’AFD en allemagne,l’UKIP anglais. Leurs discours négationnistes le sont en reprenant les outils (publicités, documents, slogans) de la propagande du capital fossile. L’extrême droite utilise les mêmes récits, pas pour soutenir le capital fossile mais pour servir son discours anti-immigration.
2. Chapitre 2 : C’est en effet une des raisons pour lesquelles les parti d’extrême droite ont intérêt à ce négationnisme, il ne faut pas que cette question prenne la place de celle qui fait leur fond de commerce, la lutte contre l’immigration.
Ainsi, ces partis d’extrême droite martèlent que le problème en Europe n’est pas le réchauffement mais le remplacement des populations autochtones par des non-blancs, le problème c’est la disparition de la culture européenne et de la civilisation chrétienne devant l’islam. Tous les partis d’extrême droite rêvent d’une nation ethniquement homogène et toutes les questions sont abordées au prisme de cet ethno-nationalisme.
Les musulmans et les militants du climat se retrouvent ensembles dans la ligne de mire des discours d’extrême droite, ils sont pareillement accusés de détester l’occident ou ,de manière un peu plus policée, d’être de tristes individus qui exagèrent les risques climatiques et le racisme car ils ne savent pas jouir.
Devant un dérèglement climatique de plus en plus patent, certains discours puisent dans l’histoire fantasmée d’un peuple héroïque qui, à condition de s’unir dans sa pureté, saura bien dépasser les aléas climatiques.
Et avec de tels discours, ils remportent des victoires électorales, comme le parti SD (démocrates de Suède) qui conforte ainsi en 2018 sa place de troisième force politique.
Leur motivation n’est pas pas a priori la même que celui des capitaux fossiles mais souvent les discours se rencontrent et s’appuient l’un, l’autre.
En fait, c’est le même ressort qui anime qui sert d’épouvantail aux ethno-nationalistes et aux défenseurs du business-as-usual : l’extinction du monde moderne.
3. (Chapitre 3) Ainsi, les intérêts des capitaux fossiles et de l’extrême droite se rencontrent. Dans les discours, et dans les faits : lorsqu’elle est au pouvoir comme en Hongrie ou en Pologne, l’extrême droite européenne (à l’instar de l’extrême droite américaine) ne favorise aucune transition ; elle soutient l’automobile et clame : « c’est notre industrie, nos emplois et notre prospérité ».
Le collectif Zetkin avance ici une de ses hypothèses, parmi les raisons de la convergence d’intérêts entre les partis d’extrême droite et les capitaux fossiles il y a une proximité culturelle profonde.
C’est aussi le cas, sur le plan de l’énergie, l’extrême droite européenne dans ses discours et dans les faits met des freins aux renouvelables.
Les partis fascistes détestent particulièrement les éoliennes, plusieurs explications sont avancées : le vent n’est pas territorialisé et appartient à tous ; la forme dressée de éolienne fait penser aux minarets ;
A l’inverse, les discours des partis d’extreme droite, et leur politique lorsqu’ils sont au pouvoir sont en faveur des énergies fossiles, en particulier celles qui sont sur leur sol, la tourbe en Finlande, le gaz et le pétrole en Norvège ; les mines de charbon en Allemagne, en Pologne.
4. A coté de ce déferlement de négationnisme, on assiste à une évolution de certains partis fascistes.
Par exemple en France, le R.N rompt avec ce négationnisme dès les années 2010 et développe un discours écologiste. Qui raconte que le problème écologique vient de la fin du lien entre l’humain et SON territoire. Leur slogan est « le meilleur allié de l’écologie, c’est la frontière ».
Ce positionnement réactualise finalement un courant de l’écologie qui n’est pas vraiment nouveau, celui du nationalisme vert qui s’est développé à la fin du 20eme aux USA, et qui lui même réactive des courants plus anciens encore comme la deep écologie proche du malthusianisme.
Dans l’échiquier politique, ces courants ont peu à peu délaissé l’écologique pour migrer vers l’extrême droite. Le nationalisme vert y côtoie des traces de négationnisme brutal, mais la contradiction n’est pas trop leur souci…
Ces positions servent surtout à fabriquer d’autres récits apparemment cohérents :
– le réchauffement est dû à l’explosion démographique de l’Afrique, ou encore,
– le réchauffement est dû aux déplacements des migrants ;
des récits qui vont leur permettre de fermer la porte aux réfugiés climatiques.
Ce nationalisme vert n’entraîne pas ces partis à voter pour des mesures qui s’attaqueraient réellement aux causes du réchauffement climatique. Zetkin prend l’exemple du seul parti d’extrême droite qui prône le nationalisme vert et qui est au gouvernement : la ligue en Italie, dont la seule mesure prise en lien avec le réchauffement a été de refuser l’accueil de réfugiés climatiques.
5. La première partie se termine par un chapitre consacré aux exemples de tels partis à l’oeuvre en Amérique : Trump et Bolsonaro.
Ce chapitre sert à enfoncer le clou. Les positions idéologiques de Trump et Bolsonaro ressemblent beaucoup à celles des partis d’extrême droite européens. Or, les deux tristes sires sont arrivés au pouvoir poussés par les capitaux fossiles et ont passé et passent leur mandat à les servir.
Cette description factuelle de la politique « écologique » des « présidents blancs des Amériques » (comme est titré le dernier chapitre) est un argument pour conforter leur hypothèse : la politique climatique de l’extrême droite se développe conjointement aux intérêts matériels des capitaux fossiles
Là bas, le racisme est au service du développement accéléré du modèle économique basé sur l’énergie fossile,
Ici c’est l’inverse, la préservation de l’écologie justifie la lutte contre l’immigration,
mais c’est la même alliance.
En guise de conclusion de cette première partie, pour ouvrir une éventuelle discussion tout à l’heure :
Il a beaucoup été question de négationnisme. Il semble intéressant de restituer une typologie des négationnismes rapportées dans ce livre. Trois type de négationnisme sont distingués :
– le premier est simplement la négation des faits : il ne se passe rien de particulier, le réchauffement climatique n’existe pas.
– le second concède la réalité d’une crise écologique mais en minimise sa gravité. Oui, il y a un problème, mais comme toujours, nous trouverons des solutions, comme nous en avons toujours trouvées …
– le troisième négationnisme reconnaît la réalité et l’extrême gravité de la crise, et repousse la considération du problème à plus tard.
C’est le premier négationnisme que les partis d’extrême droite ont d’abords récupéré.
On assiste depuis peu à une certaine évolution de leur discours et de leur position politique sur l’écologie, qui essentiellement constitue à passer du négationnisme 1 au 3. Le problème écologique est intégré dans le discours, il y sert la question principale, celle de la race, mais il n’y a aucune intention de prendre des mesures pour réduire les émissions de GES.
D’un certain point de vue, c’est une caricature des positions de la plupart des partis au pouvoir en Europe, mais n’est peut-être pas fondamentalement différent.
D’un autre coté, il y a une spécificité, celle de l’articulation à la question de la race, ceci va être abordé dans la deuxième partie.
Seconde partie
Dans cette seconde partie le collectif tente par une analyse historico-politique du fascisme de tirer des leçons pour aujourd’hui et demain.
En effet, depuis les arrivées au pouvoir du Trump/Bolsonaro/Brexit les analogies avec les années 30 se multiplient.
Cette partie commence donc par une analyse du fascisme (F) « historique » (Italie-Allemagne) avec dès le début une différence à décrire celui-ci comme
1) un courant de pensée idéologique
2) une force historique en action.
L’hypothèse est faite que c’est l’arrivée au pouvoir des fascistes qui constitue ce fascisme « classique ».
Dans l’analyse du F comme idéologie, on peut retenir le recentrement sur les notions d’héritage, de grandeur passée à ressusciter …
Pour l’arrivée au pouvoir de ces mouvements et donc la mise en application de ces idées, la notion de crise est centrale. Mais ce n’est pas la crise qui a historiquement mis au pouvoir les partis F mais les pouvoirs établis (Victor Emmanuel III et Hindenburg). Cependant ce n’était pas pour les dirigeants un premier choix mais un « dernier recours ». La conclusion de ce passage se résume dans l’idée qu’historiquement le F comme force historique ne serait pas fait « pour les temps ordinaires » …
S’en suivent quelques scenarii de crise liée aux enjeux environnementaux partagés entre des crises dites d’atténuation et des crises d’adaptation. On peut imaginer des prémisses de tels scenarii quand on a vu l’alliance contre la politique d’Obama de réduction des politiques extractavistes des grands groupes pétroliers finançants la campagne de Trump …
On peut aussi analyser les campagnes d’édification de murs (Trump, Brexit mais aussi Pologne et Hongrie) comme des réactions de type ED.
Pourquoi alors que les signaux s’accumulent une partie importante des gens se réfugient vers l’ED ?
Edification d’une théorie du complot qui peut se résumer ainsi :
1) depuis 89 les rouges se sont convertis au vert pour saper le capitalisme
2) les énergies fossiles sont déterritorialisées donc identifiables comme un héritage
La particularité de cette théorie du complot (en 2018 40% des USA croient que le changement climatique est un canular) est qu’elle touche même les plus haut dirigeants (Trump, Bolsonaro) (Greta Thumberg serait une marionnette de George Soros etc)
Cette thèse du complot climatique est en vigueur d’abord chez l’homme blanc occidental … car les conséquences de la crise climatique s’abattent d’abord sur les pays qui ont souffert de la colonisation. (et pour eux alors la crise est déjà là). C’est l’héritage d’une saignée qui dure depuis des siècles.
“Si le racisme c’est accorder moins de valeurs à certaines vies, c’est bien parce que les premiers condamnés ne sont pas blancs et sont « éloignés » que la combustion peut continuer.” Et l’ED joue là-dessus : « si des pays doivent être affectés ce seront des pays en dvlp ».
Et le racisme comme blanchité n’existe que parce qu’existent -dans les sociétés des pays puissants- des rapports sociaux liés à la race. Mais quand et comment « être blanc » est-il devenu synonyme de bruler des Energies Fossiles ? L’hypothèse est faite que les idéologies ont besoin de matières premières pour fonctionner. S’en suit une analyse historique pour démontrer cette hypothèse avec un découpage des différents racismes (pionner, puis technologique) liés à la modernité occidentale.
L’hypothèse suivante est que « l’articulation de l’énergie et de la race qui s’est développée au 19e S. …a produit une association entre blanchité et énergie fossile qui remonte à la surface par ces temps de crise » (d’où Trump etc).
S’en suit une analyse du rapport à la voiture comme objet raciste(permet la ségrégation) , analyse historique mais aux implications actuelles puisque ce sont dans les banlieues dépendantes de la voiture que l’ED est la plus forte. Or, c’est la crise pétrolière de 1973 qui met un frein à l’expansion de la voiture et c’est un moment ou des pays arabes s’opposent au monde occidental (résurgence pour l’ED d’une héritage de lutte de type« croisade ») → islamophobie.
Mais ce n’est pas tout, le genre comme la race est au coeur des théories de l’ED. Avec le mythe de la domination de la nature contesté par les ecolos et féministes (femme/nature …)
Le passage qui suit relit les textes des premiers fascistes (italien et allemand) comme glorification de la voiture, de l’avion, de la vitesse et de la mort …(Textes de Marinetti et Junger) et leurs implications dans les actions menées dans l’Italie de Mussolini comme dans l’Allemagne nazie (culte de la voiture, construction des premières autoroutes ..) Mais cette relation n’est pas biunivoque puisque les autres pays aussi utilisaient la voiture et l’avion .. . d’où retour à la notion de crise justifiant de repousser violemment les limites.
Un prolétariat fossilisé : partout en Europe l’ED est forte dans les anciens bastions ouvriers or le F historique a été vu comme dernier recours par des dirigeants acculés par un pouvoir prolétaire fort, ce qui n’existe aujourd’hui pas.
Mais il n’est pas impossible que certains partis écolos soient un jour d’ED. Nouvelle Ecologie en France présente la biodiversité comme « patrimoine national » (lutte contre les espèces invasives etc).
La conclusion est que la résistance au Fascime n’est pas une alternative pour les mouvements écolos.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Atecopol Aix-Marseille (21 février 2022). Fascisme Fossile. Atecopol Aix-Marseille. Consulté le 18 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/d1y8